Je m'appelle Julie, j'ai 17 ans.
Je suis jeune, mais je ne suis pas jolie
Pourtant je m'efforce, je ne mange pas beaucoup et quand c'est le cas,
je vomis !
Je me le suis jurĂ©, ancrĂ© dans la tĂȘte et fĂ©rocement promis
Mon corps et moi resterons Ă jamais des ennemis !
Je suis jeune et pĂąle
Mais c'est le prix Ă payer, alors pourquoi je rĂąle ?
Jour pour jour, j'ingurgite des pilules aux produits de mer
Je les avale et avale, Et tout cela pour une beauté éphémÚre
J' utilise une tonne de crĂšme, l'une pour le teint l'autre pour avoir les
jambes légÚres
Je me dis que tous les moyens sont bons lorsqu'on ne veut pas avoir
les rides de sa mĂšre
Minute pour minute, seconde aprĂšs seconde, je compte minutieusement
ce que je mange
ce que j'ai mangé
je m'imagine tout ce que je pourrais manger,
sachant que cela pourrait me défigurer , me détruire, oui !
Anéantir des mois et des mois de souffrance et de combat, contre mon plus féru ennemi
Ce corps qui me répugne et que ma mÚre appelle « ma chérie » !
Je compte et recompte, dans l'espoir de ne pas oublier ces minables
calories qui dérangent
Je suis terriblement vidée, tourmentée et lassée de la vie, car c'est elle
à présent qui me démange !
Mes journées sont un vrai cauchemar, un calvaire, un dédale et oui je
l'avoue, j'en ai marre, je dois me souvenir, vérifer et surtout jamais me tromper !
un verre d'eau ; zéro calorie
une miette de pain, une calorie
un café noir, idéal pour le reflet dans le miroir (rires)
un chewing-gum,coupe faim,j'ai mal aux intestins
un verre d'eau ,zéro calorie
Je le sais ! C'est ignoble, mais ces petites particules pourries
rythment et dominent ma satanée de vie !
Ne me regardez pas je vous en supplie ! Oui, Je suis jeune et oui ! je souris
Je suis une experte dans la matiĂšre
depuis qu'on m'a amadoué à la petite cuillÚre !
J'ai mal, mais je suis une actrice
merveilleuse et manipulatrice
performante mais surtout d-Ă©-g-o-Ă»-t-a-n-t-e !
Adaptée aux situations du quotidien
Docile et dressé comme un gentil petit chien !
FĂ©rue militante de la nourriture,
je suis Ă la lettre cette maudite et impitoyable dictature
FidÚle au poste, transmettant d'année en année ma candidature !
Me perdant ainsi de plus en plus, me transformant en abominable miniature
Ă laquelle on va mĂȘme ĂŽter sa signature !
â
J'ai appris Ă feindre, Ă paraĂźtre, Ă cacher le moindre mal-ĂȘtre
et tout cela ? Pour aboutir à une une créature que lentement je torture !
J'ai su comment rayer le verbe « j' existe» de ma liste
su comment faire pour maĂźtriser, exiger , persister
pour ne jamais plus devoir m' exhiber !
Je suis prisonniĂšre de ce corps et au lieu de nous aimer
au lieu de lui pardonner
Et Ă l'encontre de ce que les autres disent
nous nous détruisons à MA guise !
â
Depuis que je suis enfant
on me met des jupes, m' enferme dans des collants
m'assurant que c'est tellement mignon!
Tout en oubliant qu'en moi s'esquissent des traits d'un petit ĂȘtre affolant!
â
A la télé, on nous fait croire que cette hantise est un secret
et que mine de rien on devient aussi belle qu'autrefois nos jouets
ces petites poupĂ©es parfaites qui n'en faisaient qu'Ă notre tĂȘte !
sculptĂ©es telles des reines souveraines sans gĂȘne
â
Je suis jeune et je voudrais tellement ĂȘtre jolie
Ătre celle que l'on voit Ă l'affiche de tous les produits
On nous promet que nous le valons bien
Mais ces slogans vidés de sens ne guérissent aucun de mes chagrins !
Mes seins sont petits, mĂȘme si je suis grande
Devrais-je me teindre en blonde pour qu'il bande ?!
â
Dans sept jours je fĂȘterai mes dix-huit ans
Adieu mon corps d'enfant et bonjour au derriÚre d'éléphant !
Je suis mon esclave, hantée et envoûtée par mes pires démons
Et puis, il y a LUI, somme de toutes mes ennuis
Je l'observe, cours aprÚs lui et récite sans cesse
l'Ă©quation de mes maladresses
Des cris silencieux étouffés dans de stupides scénarios de détresse
Et rien qu'une fois, je voudrais ĂȘtre celle Ă qui il fait des compliments
Celle avec qui il voudrait voir s'arrĂȘter le temps...
Tous les jours, je suis Ă l'Ă©cole et j'ai faim
Assises dans mon cours livrée à des heures monotones sans fin
Je redoute les pauses de repas, j'ignore comment les affronter
dans un monde dans lequel la bonté fut inventée
pour celles qui ne savent pas comment se faire monter !
comment faire pour ĂȘtre forte et surtout pour rĂ©sister ?
â
Je suis une personne parmi deux mille Ă©lĂšves
Mais il n'y en a pas un seul qui remarque qu'en moi
jour pour jour des particules d'un bonheur inexistant crĂšvent
Personne ne sait et tout le monde ignore
Que je m'efforce d'ĂȘtre parmi les plus forts
Que chaque matin je me force d'éteindre le réveil et de sourire alors
Que je préfÚrerais me mettre en veille et m'anéantir
Que je préférerais fuir ce corps plutÎt que d'y mourir
Mais que malgrĂ© tout, je n'ai nulle part oĂč courir !
â
Mes amis pensent me connaĂźtre...
Alors pourquoi n'ont-ils pas vu naßtre en moi ces démons
qui me dévorent et font que je m'ignore ?
â
Je suis jeune, mais je ne suis pas jolie
L'amour me détruit parce que je suis incapable d'en payer le prix
« Il faut que les garçons tâ'acceptent comme tu es » « Il faut qu'ils apprĂ©cient ton caractĂšre »
C'est facile de me balancer ces paroles insouciantes en tant que mĂšre!
De me faire croire que les hommes ne sont pas superficiels et
uniquement intéressés par la chair !
Mais quand j'ouvre les magazines dédiés aux beaux et aux riches
Je vois bien qu'il n'y a pas d'Ă©chappatoire et qu'en fait de nous on s'en
fiche !
Que si tu veux ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e et regardĂ©e tu n'as qu'Ă commencer la
triche !
IMC...Indice de masse corporelle devient l'outil avec lequel je m'auto flagelle
caché sous un chiffre inoffensif, tu fais l'innocent
mais sache que tu es le maĂźtre qui domine mon Ă©tat compulsif !
Tu es la case de départ et la ligne à franchir, tu deviens tous les jours
un peu plus le guide de mes troubles obsessifs !
Je suis lassĂ©e, vidĂ©e et au lieu d'ĂȘtre jolie
Je voudrais crier et ĂȘtre impolie
Vomir aux pieds de ceux qui m'exaspÚrent et font que je dégénÚre !
Au quotidien, les gens me jugent sans savoir ce que je dois endurer
Alors que je sais que ces chiens ne mordent pas, mais ne font qu'aboyer !
Toutes ces femmes frĂȘles, incarnant Cacharel et dignes des plus
moches aquarelles,
Ne reflÚteront jamais la beauté et l'audace d'une femme naturelle !
â
Vous nous condamnez Ă ĂȘtre nos propres meurtriĂšres
Alors que tout ce que nous cherchons
c'est d'avoir des formes et d'en ĂȘtre fiĂšres !
â
Vanessa Sanchez de la Hoz Willems
2016, Poetry Slam text
â